Les théories émancipatrices des pédagogies sociales ou féministes, comme celles portées par Paulo Freire et bell hooks prônent une pensée éducative basée sur la récupération de la parole par les opprimés comme moyen de leur libération. Si Freire apporte un lien entre éducation, savoir et classe opprimée, Albert Memmi, pour sa part, en établit un entre éducation, savoir et peuple opprimé. Ses divers écrits, en particulier « L’homme dominé », soulignent la façon dont l’éducation et l’information peuvent malheureusement jouer un rôle dans l’occultation de la mémoire de tout un peuple et le maintien des rapports de domination. C’est pour cela que la théorie féministe du point de vue considère que les dominés jouissent, du fait de leur marginalisation sociale, d’un « privilège » épistémologique qui leur permet d’appréhender le monde en ayant conscience des rapports de domination et de leurs effets sur leur existence. Faire entendre les voix des dominés devient alors une manière de contester l’ordre dominant et d’affirmer que celles-ci sont porteuses d’un savoir légitime.
Papothé: Forum des femmes racisées en milieux académiques
Les voix des femmes racisées sont encore au balbutiement dans de nombreuses institutions académiques au Canada, créant ainsi un écart entre les théories éducatives émancipatrices et les pratiques institutionnelles. Ce fut un des constats que je fis au début de mes études doctorales en 2014, à l’Institut des Études Féministes et de Genre de l’Université d’Ottawa. Il n’existait pas d’espace d’expression pour femmes racisées alors qu’elles rencontrent des problèmes spécifiques comme le manque de représentation au sein du corps professoral ressenti comme une invalidation de leurs projets éducatifs et de leur savoir, l’existence des curricula qui n’incluent pas leurs réalités, la violence sexuelle, l’effet de golem etc. Avec une autre doctorante, Marie-Éveline Belinga, nous avons fondé Papothé : Forum des femmes racisées en milieux académiques pour leur offrir un espace sécuritaire afin pouvoir articuler les différentes problématiques les concernant et les stratégies de résistance.
Hadja Kadiatou Diallo Telli: Un destin de Cheffe
La biographie comme méthodologie féministe et mode d’approche de la réalité historique, ou les femmes, surtout africaines, sont oubliées, peut permettre cette transformation de silence en paroles. En écrivant la biographie de Hadja Diallo Kadiatou Diallo Telli, une Canadienne d’origine guinéenne, veuve de l’un des grands hommes politiques de la postcolonie panafricaine, j’ai voulu lui permettre de nous donner son point de vue sur l’histoire à.la fois prestigieuse mais aussi tragique de sa famille et son expérience en tant que femme immigrante. Cet ouvrage souligne le fait que les histoires des femmes sont indispensables pour nous « faire comprendre les rôles qu’elles ont joué dans la vie de leurs maris, leurs pays, mais aussi par l’espoir et la résilience dont elles sont porteuses, et qui représentent les possibilités de développement des sociétés africaines ».
Écrit par Valérie A. N. Masumbuko.
Références:
Catherine Coquery –Vidrovitch (1994). Les Africaines. Histoire des femmes d’Afrique noire du XIX et du XX ème siècle. Paris, Editions. Jonquière, p. 291.